Nous voici de retour. Notre dernier numéro commence à dater et nous aimerions pouvoir dire, comme le proverbe, "pas de nouvelles, bonnes nouvelles". Hélas, dans le cas présent, ce serait plutôt "pas de bonnes nouvelles". La seule excuse que nous pourrions invoquer pour justifier la longue période écoulée depuis notre dernier bulletin — et elle est bien mince — est que nous attendions quelque bonne nouvelle à vous annoncer dans ce nouveau bulletin. Même un semblant de bonne nouvelle…
La situation a été plutôt noire. En effet, même avant le 11 septembre, le fléchissement persistant du prix des perles noires conduisait même les optimistes nés à procéder à une amère réévaluation du potentiel d’expansion de la perliculture. Aux rumeurs de fermeture d’exploitations perlicoles dans toute la Polynésie française succéda l’annonce de licenciements massifs et de l’arrêt des greffages chez Robert Wan. Les acheteurs semblaient dédaigner les ventes aux enchères de Tahiti et le climat général était caractérisé par le désarroi, l’abattement et l’incertitude. Ne sachant jusqu’où le marché s’effondrerait, les grossistes étaient, disait-on, peu enclins à acheter en grosses quantités, ne voulant pas se retrouver en trois mois avec des perles surévaluées.
Puis, les Îles Cook signalèrent une mortalité massive d’huîtres due à des proliférations d’algues à Tongareva (Penrhyn) ainsi qu’une forte mortalité dans les élevages du lagon de Manihiki. Une espèce de vibrion fut incriminée dans ce dernier cas et, si le pire est maintenant derrière nous, il subsiste en nous tous la conscience aiguë des caprices de la nature et de la fragilité des animaux que nous élevons. Par ailleurs, l’annonce que les éleveurs des Îles Cook ont incité leurs décideurs politiques à interdire l’importation de perles de Tahiti nous a rappelé l’inconstance de la nature humaine et les tentations primaires qui nous poussent au protectionnisme dès que nous nous sentons en terrain incertain.
Il faut aussi mentionner la triste nouvelle du décès de John Latendresse et de Ian Turner, l’un et l’autre à leur manière d’augustes pionniers de la perliculture qui étaient très respectés et resteront longtemps dans le souvenir de ceux qui les ont connus.
Les perles de rivière chinoises, très bon marché, sont à l’origine d’une concurrence de plus en plus importante. Il ne s’agit plus des minuscules perles de riz qui ont été pendant des années l’objet de nos railleries, il s’agit désormais de perles rondes ou quasiment rondes de 8 mm de diamètre et plus. Bien sûr, elles font toc, teintes et artificiellement lustrées, mais le consommateur moyen n’a apparemment pas assez de discernement. Je me rappelle l’allocution prononcée par Fred Ward à la conférence Perles 94 : il avait projeté une diapositive illustrant une de ces perles de rivière, parfaitement ronde, de 10 mm et avait affirmé à un public ébahi qu’il fallait y voir l’avenir de la perliculture. À un moment ou à un autre, entre notre 14e et notre 15e bulletin, le pronostic de Fred a fini par se réaliser.
Il y a quand même eu ça et là quelques bonnes nouvelles. Les pouvoirs publics de Polynésie française ont soumis les exportations de perles à des contrôles de qualité plus rigoureux et le marché des perles noires de premier choix a pris un tournant positif dans la foulée du 11 septembre. En Micronésie, les écloseries ont connu de nouveaux succès, les Îles Cook et les Îles Marshall ont organisé des cours de formation de greffeurs, et des rumeurs d’expansion (qui ne peuvent encore être publiées) circulent aux Fidji et aux Tonga. Par ailleurs, des documents captivants ont été présentés à la réunion de la World Aquaculture Society qui s’est tenue à Beijing. Wayne O’Connor nous a généreusement transmis un compte rendu remarquablement détaillé des séances consacrées à la perliculture. C’est presque comme si on y était. Nous avons décidé d'en reprendre les extraits les plus encourageants pour essayer de compenser la morosité de l’ensemble du bulletin.
Dans ce bulletin, nous nous sommes jusqu’ici bien gardés de nous aventurer trop profondément dans les eaux troubles de la politique, de la commercialisation et de la gestion de la perliculture; le temps est peut-être toutefois venu d’émettre quelques points de vue en la matière. On nous a raconté une anecdote (donc, à ne pas citer) où il était question d’un biologiste très respecté à qui l’on demandait dans une interview avec une chaîne de radio internationale, si la vision qu’il dépeignait — des fermes perlicoles à perte de vue sur tous les lagons de Papeete jusqu’à Penang — ne venait pas contredire quelques lois économiques fondamentales, comme celle de l’offre et de la demande par exemple. "Oh !", répondit-il apparemment, "ça, ce n’est pas mon problème. Je suis spécialisé dans la biologie de la perle, pas dans sa commercialisation !"
Si seulement c’était aussi facile que ça ! Aujourd'hui malheureusement, il faut savoir être l’un et l’autre, car à défaut on ne peut être ni l’un, ni l’autre. Quand on lance une nouvelle exploitation, il faut rechercher des créneaux commerciaux ou tirer profit de tout avantage concurrentiel que présente le lagon. Quand on veut promouvoir la perliculture dans un pays, il faut évoquer sans ambages tous les risques et les défis auxquels se heurte le secteur. Et quand on assume la gestion d’exploitations établies ou que l’on traite avec des secteurs perlicoles bien implantés, on doit rester conscient de ses responsabilités et du contexte régional dans lequel elles s’exercent.
Nous ne voulons pas dire aux autres ce qu’ils doivent faire; quant à moi, mon rôle est d’éditer et non d’édicter. Il y a néanmoins une dernière bonne nouvelle, à la fois instructive et encourageante qui pourrait justifier quelque optimisme. C’est elle qui nous a incité à rassembler ces quelques articles en vue d’un nouveau numéro et à les expédier à notre compétente équipe de production de Nouméa. L’histoire qui suit présente un intérêt tout particulier pour la région et son secteur perlicole et c’est à nos risques et périls que nous passerons outre.
Lors des neuf derniers mois environ, le prix des perles argentées australiennes a commencé à fléchir, en partie à cause des événements survenus aux États-Unis, mais aussi du fait de la menace de surproduction qui se profilait en Indonésie où plusieurs grandes exploitations perlicoles sont sensées démarrer dans les années à venir. Le prix des perles argentées australiennes chutait donc non pas en raison de l’engorgement actuel du marché, mais du fait de l’incertitude de la situation à venir. Les gens se tordaient les mains, pointaient des doigts accusateurs, mais personne n’intervenait concrètement.
Puis, dans un incroyable sursaut d’audace, une très grande entreprise perlicole australienne a annoncé qu’elle garantirait un prix minimal donné pendant les deux années à venir pour toutes les perles provenant des exploitations indonésiennes. Quasiment instantanément, la tendance s’est inversée, les prix des perles argentées australiennes se sont affermis, pour remonter à leur niveau antérieur.
Pour de multiples raisons, on ne verra jamais rien de tel dans le secteur des perles noires du Pacifique. Mais je n’ai pas pu m’empêcher de voir là une bonne raison de publier un nouveau numéro. Peut-être qu’avec le temps, on finira par assister à pareil tour de chance.
D’ici là, ce que nous avons de mieux à faire est de produire des perles de plus belle qualité. Le meilleur moyen de faire faillite sans tarder est probablement de continuer à augmenter sa production. Le secteur est submergé de perles de qualité moyenne. Nous devons nous distinguer et produire des perles de qualité distinctive. Le même mot d’ordre se fait entendre d’un bout à l’autre du marché : ´La qualité … la qualité est toujours recherchée… la qualité est toujours appréciée.ª Le monde ne veut pas encore plus de perles, il veut davantage de belles perles.